On trouve dans Erskine May’s Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament la définition classique du privilège parlementaire :
Le privilège parlementaire est la somme de certains droits à chaque chambre, collectivement, […] et aux membres de chaque chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers5.
On peut répartir en deux catégories les « droits » en question : ceux accordés aux parlementaires individuellement et ceux dont jouit la Chambre à titre collectif. Chaque catégorie peut à son tour être subdivisée. On regroupe habituellement sous les rubriques suivantes les droits et immunités accordés aux parlementaires à titre individuel :
la liberté de parole ;
l’immunité d’arrestation dans les affaires civiles ;
l’exemption du devoir de juré ;
l’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal ;
la protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité.
Quant aux droits et pouvoirs de la Chambre en tant que collectivité, on peut les répartir ainsi :
le droit exclusif de réglementer ses affaires internes (y compris ses débats, ses travaux et ses installations) ;
le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires, c’est-à-dire le droit de punir les personnes coupables d’atteinte aux privilèges ou d’outrage et le pouvoir d’expulser des députés coupables d’inconduite ;
le droit d’assurer sa propre constitution, y compris le droit de bénéficier de la présence et des services des députés ;
le droit d’instituer des enquêtes, de citer des témoins à comparaître et d’ordonner la production de documents ;
le droit de faire prêter serment aux témoins qu’elle entend ;
le droit de publier des documents sans avoir recours aux tribunaux pour ce qui est du contenu.
Les privilèges des députés assurent l’immunité absolue dont ils ont besoin pour s’acquitter de leur travail parlementaire, alors que les droits collectifs de la Chambre sont les moyens indispensables dont elle dispose pour exercer efficacement ses fonctions6. Le député jouit de tous ses privilèges dès qu’il devient officiellement député, c’est-à-dire au moment où le directeur du scrutin retourne le bref d’élection après y avoir inscrit le nom du candidat qui a reçu le plus grand nombre de voix lors de l’élection générale ou partielle7.
La Chambre a le pouvoir d’affirmer ses privilèges lorsqu’on fait obstacle à l’exécution de ses fonctions ou de celles des députés. Les députés ne sont pas au-dessus des lois qui régissent tous les citoyens du Canada. Bien que certains privilèges semblent les exempter de l’application de certaines lois, le privilège parlementaire fait partie intégrante du droit général du Canada8. De fait, les privilèges des Communes visent à préserver les droits de chaque électeur9. Par exemple, le privilège de la liberté de parole est accordé aux députés non pour leur avantage personnel, mais pour leur permettre de bien représenter leurs électeurs sans crainte de poursuites civiles ou criminelles suivant ce qu’ils auraient déclaré à la Chambre et en comité. Lorsqu’une circonscription élit un candidat, il relève du droit des électeurs que ce représentant élu soit protégé contre toute pression indue, et en particulier contre la violence10. Comme l’explique May :
Le trait distinctif du privilège est son caractère accessoire. Les privilèges du Parlement sont des droits « absolument indispensables à l’exercice de ses pouvoirs ». Les députés en sont bénéficiaires à titre individuel, car la Chambre serait incapable de s’acquitter de ses fonctions sans disposer librement des services de ses membres. Mais chaque Chambre en est également bénéficiaire pour la protection de ses membres et l’affirmation de son autorité et de sa dignité11.
Le privilège appartient essentiellement à la Chambre dans son ensemble ; à titre individuel, les députés ne peuvent l’invoquer que dans la mesure où une atteinte à leurs droits ou des menaces risqueraient d’entraver le fonctionnement de la Chambre. En outre, les députés ne peuvent invoquer le privilège ou l’immunité pour des questions qui ne sont pas liées à leurs fonctions à la Chambre12.
Par ailleurs, même si elle ne porte atteinte à aucun privilège particulier, toute conduite qui cause préjudice à l’autorité ou à la dignité de la Chambre est considérée comme un outrage au Parlement. L’outrage peut être un acte ou une omission. Il n’a pas à faire réellement obstacle au travail de la Chambre ou d’un député ; il n’a qu’à tendre à produire un tel résultat.
L’étendue des privilèges revendiqués comme nécessaires par le Parlement a varié au cours des siècles13. Néanmoins, certains principes de base sont établis. Ni l’une ni l’autre chambre du Parlement ne peut à elle seule élargir ses privilèges, même si chacune peut, par résolution, décider de ne pas invoquer ou appliquer un privilège dont elle usait auparavant14. Aucune chambre ne peut revendiquer pour elle-même de nouveaux privilèges, lesquels ne peuvent être établis qu’en vertu d’une loi du Parlement, tout comme l’élargissement d’anciens privilèges15. L’une ou l’autre chambre peut exercer ses droits dans de nouvelles circonstances16. Enfin, chaque chambre peut individuellement juger et punir les atteintes à ses privilèges.
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